Alors, pour répondre de manière à peu près exhaustive à la question récurrente: "tu fais quoi au juste comme boulot?", un article est nécessaire!
Il est vrai qu'il aurait été plus simple de trouver un emploi de serveuse, caissière ou même assistante de langue: l'intitulé du poste suffit à donner un aperçu global des tâches et responsabilités associées.
Ici déjà, ça se corse: j'ai postulé pour une place de "personne bilingue français-anglais en service client". Maintenant, mes emails professionnels sont signés "Spécialiste en relation à la clientèle" et si on traduit mot à mot l'équivalent anglophone, ça donne quelquechose du gout de "spécialiste en satisfaction de la clientèle". (Ouais ouais, moi je suis reconnue comme une CFS au sein de la boite...ça donne toujours la classe d'avoir un poste à abréviation!!)
Haa, l'entreprise oui, parlons en! Clean Scene est une boite spécialisée dans les domaines de l'entretien, de la réparation et de l'assistance en cas de sinistre.
Elle possède plusieurs bureaux et entrepôts dans tout le Canada.
Je travaille donc dans l'un des bureaux, situé à Toronto, et de là, je suis responsable des interventions ayant lieu dans la province du Québec, ainsi qu'à Ottawa et ses alentours.
Concrètement, je suis l'intermédiaire entre les gérants des boutiques et les techniciens, en garantissant la satisfaction du client (bureau chef). Cela peut être parfois compliqué lorsque les gérants ont une demande autre que celle du bon de commande émise par le client.
Mais de manière générale, cela se passe bien.
La première semaine a été "éprouvante", j'ai été ensevelie sous les informations, et j'ai alloué des heures interminables à cet apprentissage. L'important était de comprendre le fonctionnement global, tout en me familiarisant avec le logiciel, outil dont la maîtrise est indispensable et préalable à toute intervention de ma part.
Pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvée à passer mes journées dans un bureau, assise devant mon ordinateur...et 2 écrans supplémentaires. Cela m'a paru étrange au début, mais j'ai vite compris l’intérêt d'avoir plusieurs écrans dans un métier qui requière une grande polyvalence et la capacité de passer constamment d'une tâche à une autre, en fonction des priorités du moment et des informations nouvellement reçues (je reçois des appels et surtout des mails à longueur de journée, répondant à des questions en suspens, ou m'apportant de nouvelles informations.)
La première semaine, j'ai passé beaucoup de temps sur "gotomeeting" avec mon chef, qui m'a essentiellement présenté par ce biais le fonctionnement du logiciel.
Gotomeeting consiste en une "réunion" via internet de personnes pouvant être situées n'importe où dans le pays (ou dans le monde!), et le grand avantage est de pouvoir laisser le controle de son propre écran à une autre personne, ou à l'inverse, d'avoir le contrôle de l'écran d'un autre participant, ou juste de voir l'écran d'un autre participant, qui peut alors travailler comme d'habitude et expliquer ce qu'il fait en même temps.
J'ai également effectué ce type de "réunion les 2 premiers samedis, avec la personne qui occupait précédemment mon poste et a démissionné _ d'où l'annonce, et mon embauche!
Ca a été très formateur, pour comprendre comment les choses fonctionnaient localement, obtenir des précisions et conseils pour travailler au mieux avec tel ou tel client, ou avec tel ou tel technicien. J'ai découvert également que excel et googlemap sont mes nouveaux meilleurs amis pour ce boulot!
Bon, le côté plus délicat, c'est que le statut de cette personne n'était clair ni pour moi ni pour elle: je sentais lors des échanges avec mon chef que le but était que je sois opé le plus vite pour qu'ils remercient ma prédécesseur...mais de son coté, elle semblait considérer travailler encore pour l'entreprise pour une durée indéterminée, mais uniquement les samedis matins...
Bref, j'ai essayé d'être honnête sans pour autant divulguer des informations qu'elle semblait ne pas avoir, et surtout, je l'ai grandement remerciée de son aide. Je déteste cette impression d'être un agent double et de tirer profit du travail de quelqu'un d'autre...
Quelques jours après mon arrivée, mon chef m'a donné un Ipad en expliquant que 1) ça me ferait un écran supplémentaire et 2) cela me permettrait de jeter un coup œil à mes mails depuis chez moi.
Ca va simplifier de nombreuses taches que vous n'avez jamais eu à effectuer auparavant. |
Glups! J'ai senti ma gorge se serrer et mon cerveau partir en live... j'ai quand même tenté de m'exprimer calmement et l'air de rien sur le fait que cet aspect rendait la coupure vie pro/vie privée compliquée...ce à quoi il a bien évidemment acquiescé: il connait bien le problème!Il m'a expliqué que c'était nécessaire en cas d'urgence, si par exemple un technicien se rendait compte le dimanche soir qu'il lui manquait le bon de travail pour le lendemain matin tôt...
Je n'ai pas insisté, mais intérieurement, je détestais déjà cet outil diabolique, cette prison mobile, ce cimetière à travailleurs exploités...(bon, je crois que vous avez compris, je ne sautais pas vraiment de joie!)
Le soir, impossible de dormir: et si on m'envoyait un mail! Et si on attendait que j'intervienne?!L'angoisse, c'est irrationnel, et rien ne peut me faire plus flipper que l'impression de ne pas être libre.
J'ai une dernière question: ça va me rendre heureux? |
Le lendemain, j'étais censée avoir un gotomeeting avec ma future-ex-collègue (elle depuis British Colombia, et moi depuis Toronto) à 8h, depuis mon appart car j'avais pris l'ordi.
Sauf que à 7h, non, impossible de le démarrer, il me réclamait je sais pas trop quoi! J'avais pourtant cru avoir embarqué tout le matériel nécessaire (ordi, chargeur, clavier, souris), j'avais même demandé confirmation au boulot la veille pour éviter une telle situation.
Résultat, la tête où vous savez, et la mort dans l'âme, je me suis précipitée à l'arrêt de bus, tant bien que mal avec l'ordi de 10000kg, direction le bureau!
Arrivée là-bas, ouf, 7h50 ou quelquechose comme ça, j'étais à l'heure! J'ai tout rebranché, et miracle, l'ordi a bien voulu s'allumer cette fois, et j'ai lancé le gotomeeting. Sauf que...personne à l'horizon. 8h30, j'ai commencé à me poser des questions et...fuck. J'ai fiévreusement tapé "heure colombie britannique" sur google...et bien sûr, il était 3h de moins qu'en Ontario. Le rendez vous était donc bien à 8h,mais pour elle, et donc à 11h pour moi. Trop deg. Heureusement, j'avais un paquet de notes à organiser et rédiger au propre, griffonnées depuis mon 1er jour.
Le week end a été le bienvenu, histoire de relâcher un peu la pression et rattraper le sommeil en retard. Mais j'ai aussi eu de grandes discussions silencieuses avec moi même: super opportunité ce poste, quelle chance de l'avoir obtenu, une chance pareille ça ne se refuse pas / oui mais "haaaaaaaaaaaaaaaaa"! Des heures de fou, des responsabilités à la pelle, d'innombrables infos à maitriser et surtout, l'abandon de ma liberté pour être compétente et réactive... Une fois de plus, j'étais devenue schizophrène!
Pour rappel: lors de l'entretien, il m'avait été indiqué que ce poste était à temps plein, en cdi avec une période d'essai de 3 mois.
Je savais qu'il me fallait prendre une décision au plus vite, mais je n'arrivais à m'y résoudre.
J'ai tergiversé quelques jours, je ne me voyais pas engager une discussion sur le sujet _ déjà très délicat_ avec mon chef via internet.
Cela me mettait très mal à l'aise de travailler normalement avec cette idée latente, de donner l'impression que tout allait au mieux et que je m'adaptais rapidement à ce poste censé le rester pour 1 an et plus si obtention d'un permis de travail à l'issu du PVT.
Heureusement pour moi, mon chef est venu au bureau quelques jours plus tard. Il m'a félicitée pour mon travail et m'a dit que j'apprenais vite, puis, en riant, il a ajouté "ne me déçois pas". Oh putain. Je suis devenue encore plus mal à l'aise, et je me suis dit que quoi qu'il arrive, il allait falloir que je lui fasse part de mon questionnement. Coup de chance, il m'a tendu une perche énorme! Comme il me montrait quelque chose sur l'ordi, et que je voulais faire référence à un mail, j'ai pris l'Ipad pour lui montrer. Il a semblé satisfait et m'a demandée "ha alors ça y est, tu utilises l'ipad! Ca ne te pose pas de problème de devoir y jeter un coup d'oeil à la maison,hein?". Il avait l'air très confiant...mais c'était le moment ou jamais d'engager la conversation au sujet de mon avenir au sein de l'entreprise. J'ai répondu que "si,un peu" et que j'aimerais d'ailleurs en parler avec lui quand nous aurions fini, avant qu'il ne parte. Il a vite vu venir le truc, a fini de m'expliquer ce qu'il voulait et m'a proposé d'aller dans l'autre pièce pour parler.
J'étais à la fois mal à l'aise, car il n'était pas du tout évident d'exprimer mon impression de personnellement pas correspondre à ce type de poste sur le long terme après m'être vue offrir une telle opportunité; mais également soulagée que cette conversation puisse avoir lieu.
J'ai expliqué que j'avais l'impression d'être un peu débordée par les infos et le travail à fournir, mais que je mettais cela sur le compte de mon arrivée récente, que j'étais prête à m'investir autant que nécessaire dans la découverte du poste, et que je m'attendais à cela. Mais que par contre, cette histoire d'Ipad m'avait fait bien flipper la semaine précédente, que j'y avais longuement réfléchis, et que ma conclusion était malheureusement que je ne me voyais pas rester à ce poste à long terme.
Que du coup, je ne pouvais même pas y passer l'année de mon pvt, car ce visa étant une chance unique et non renouvelable de vivre au Canada, je voulais aussi en profiter pour voyager et découvrir la nature de l'ouest Canadien...
J'ai conclu en affirmant à nouveau être consciente et heureuse de m'être vue offrir une telle opportunité, que j'aimais ce que je faisais et que j'étais prête à m'investir autant que nécessaire (longues journées au bureau et disponibilité pour intervenir en cas d'urgence sur mon temps libre), mais simplement, pour une période déterminée: jusque fin mai ou fin juin, selon leurs besoins.
Il y a eu un blanc, et j'ai bien vu qu'il était un peu sous le choc! Et déçu... Il m'a tout de même répondu qu'il comprenait et qu'il appréciait mon honnêteté. Je me suis remise au travail, et il est parti.
Suspence, suspence...pour combien de temps en avais-je encore avec cette entreprise?? En rentrant, je n'ai pas pu m’empêcher d'écrire un (long) mail pour réaffirmer mon intérêt dans le poste, et insister sur le fait que s'ils décidaient de me garder jusque juin, mon investissement serait d'autant plus énergique et motivé que je serais à ce poste par envie et choix et non par habitude ou facilité...
Bon, peu m'importait au final la tournure qu'allait prendre les événements: dans tous les cas, je m'étais respectée tout en étant juste et honnête envers l'entreprise, et j'étais prête à assumer n'importe quelle conséquence.
on ne voit pas, mais je désigne du doigt une notification d'email :p |
Depuis, j'y travaille toujours _ je prends cela comme un bon signe_ même si je n'ai aucune idée de jusque quand. Je me suis familiarisée avec le fonctionnement; et appropriée les enjeux des bons de travail dont j'ai la responsabilité. Je communique quotidiennement avec les gérants, et "mes" techniciens, ainsi qu'avec mes collègues par mail essentiellement.
Mon chef semble satisfait de mon travail, et me le fait savoir régulièrement, ce qui est toujours très motivant au regard de l'investissement personnel nécessaire à un travail efficace! Je n'ai jamais eu l'occasion d'occuper un poste similaire en France, et je me demande si c'est courant ou non de faire des remarques positives le cas échéant. J'apprécie en tout cas beaucoup cet environnement de travail, et cette façon naturelle de communiquer, aussi bien en cas de remarque négative que positive!
La période de Noël a été source de travail supplémentaire avec toutes les demandes de changements de dernière minute des gérants. Il m'a fallu "courir après" les techniciens pour connaitre leur disponibilité et savoir s'ils pouvaient intervenir selon les demandes (innombrables appels et emails). En parallèle, Ottawa et ses alentours m'ont également été délégués à partir de cette période, avec, pour couronner le tout, un nouveau technicien et presque tous les bons de travail du mois à planifier sur une période très restreinte.
Beaucoup de boulot donc, et de stress...mais en même temps, le soulagement de pouvoir compter sur le professionnalisme de techniciens flexibles et investis. Je ne connais ces personnes qu'à travers mails et appels, et je ne les rencontrerai probablement jamais en personne, mais j'ai un réel sentiment"d'esprit d'équipe" au quotidien. J'ai ce même sentiment lorsque je communique avec collègues et chefs: nous avons bien sûr un intérêt commun à travailler ensemble, mais généralement, une certaine forme de solidarité et d'empathie sous-tend les échanges. C'est très appréciable dans un environnement professionnel aussi exigeant et stressant par moments!
Je ne regrette décidément pas d'avoir saisi cette opportunité professionnelle, et je compte bien profiter au maximum de cette expérience. J'ignore pour combien de temps encore (je pense jusque fin février, ce qui correspond à l'initiale période d'essai), mais je croise les doigts pour que cela dure le plus longtemps possible!! :)